buffet orgue Souvigny
L’ORGUE DE L’ÉGLISE DE SOUVIGNY
François-Henri Clicquot 1783
28 jeux /3 claviers et pédalier


HISTORIQUE

Depuis deux siècles, l’orgue érigé sur la tribune occidentale autrefois consacrée à Saint Michel, prête sa voix à l’église prieurale de Souvigny, magnifique édifice de 84 mètres de long, cinq nefs et deux transepts et contribue à l’éclat des cérémonies.

Probablement offert par le prieur claustral dom (de) la Croix, dont les armes orneraient le panonceau de l’ange musicien qui domine la tourelle centrale du grand buffet, il doit à la qualité de ses matériaux, à la perfection de ses timbres et à la pauvreté de la paroisse d’avoir traversé les ans sans transformation, pour l’élévation des fidèles et la délectation des musiciens.

Trois inscriptions sur parchemin collées à l’intérieur des sommiers de pédale et de positif attestent de son origine racée : «Fait par M. Clicquot facteur d’orgue du Roy»; «Faite à Paris le 25 may 1782»; «Cet orgue a été fait à neuf par François-Henri Clicquot facteur d’orgue du Roy en 1783 du règne de Louis XVI et du trianat de Dom La Croix prieur de Souvigny».

Il est, avec son grand frère de la cathédrale de Poitiers (1790), le seul témoin intégralement conservé du grand facteur, lui-même fils et petit-fils de facteurs d’orgues. Réclamé vainement par la fabrique de Saint-Pierre de Moulins en 1803, il doit sa célébrité littéraire à Alexandre Dumas qui passait par Souvigny en 1834. C’est ensuite J.-J. Bonaventure Laurens et Félix Danjou relayés par Hamel qui se chargent de sa promotion et l’on peut dire que cet orgue est l’un des plus anciens à avoir été considéré comme un témoin précieux, un monument historique, réputation sanctionnée par le classement de la partie instrumentale en 1947 et du buffet en 1975.

console Souvigny, vue de face


En 1880, un devis de travaux, très respectueux, de Joseph Merklin reste sans suite et c’est Goydadin, en 1887, qui effectue le premier relevage. En effet, le travail de Delor pour la manufacture Daublaine et Callinet n’était qu’un dépoussiérage. L’orgue est alors haussé d’un ton et le facteur Goydadin établit une nouvelle soufflerie. Mais il conserve intégralement ses sommiers, sa mécanique, tous ses tuyaux, et procure à l’interprète, du fait de l’authenticité de sa console, la sensation de remonter le temps. Et avec quel bonheur dans les sonorités!

Ce n’est qu’en 1960 qu’on installe une turbine électrique et, en 1977, Philippe Hartmann restitue trois soufflets cunéiformes ; le mécanisme d’asservissement est ensuite affiné par Philippe Klinge. Il s’agit donc d’un témoin irremplaçable, connu Outre-Atlantique et jusqu’au Japon pour la subtilité de sa mécanique, l’éclat de ses anches – trompettes, clairon, cromorne, hautbois voix humaine –, la suavité de ses fonds et l’ardente poésie de ses jeux de tierce : de quoi traduire idéalement le répertoire baroque français, Couperin, Grigny, Marchand, d’Aquin, et surtout la littérature de la fin du XVIII
e siècle, Michel Corrette, Beauvarlet-Charpentier et Lasceux.

Une telle richesse sonore que les mots sont bien incapables de traduire s’inscrivait dans le prolongement de la Contre-Réforme : rien n’est trop beau pour Dieu. Cet instrument n’est pas d’abord conçu pour l’accompagnement, mais pour l’alternance, l’orgue se substituant aux chanteurs un verset sur deux. Et s’il est permis de paraphraser Monsieur Olier, on peut affirmer que le plein-jeu, brillant, est l’image du Père, que le jeu de tierce, souple et émouvant, symbolise l’humanité du Fils, tandis que le grand-jeu, avec ses anches flamboyantes, évoque l’Esprit de la Pentecôte. Outre son rôle d’acteur dans la liturgie, l’orgue de Souvigny, entretenu avec attention par le facteur Michel Jurine (Michel Colin technicien conseil près des Monuments Historiques), est régulièrement sollicité pour des concerts («Présence de l’orgue», «Pépites d’orgue», Journées Musicales d’Automne, …).

Organistes nommés en janvier 2013 : Madeleine Cordez, Pierre Dubois, Jean-Luc Perrot
Enregistrements
 disponibles :
- L'orgue français des XVII
e et XVIIIe siècles «Journées Musicales d’Automne», interprété par Olivier Latry
- Notes personnelles, interprété par Michel Chapuis (Souvigny et Versailles)
- Beauvarlet-Charpentier père et fils, Messes, Hymnes, Marches, pièces interprétées par Jean-Luc Perrot

(d’après Henri Delorme – Mise à jour 2015).

P1070566


COMPOSITION

1er Clavier: Positif de dos (ut1-ré5 sans 1er ut#)

Bourdon 8’
Flûte 8’ (au 2ème ut)
Prestant 4’
Doublette 2’
Fourniture V
Nasard 2’ 2/3
Tierce 1’ 3/5
Cromorne 8’
Trompette 8’

2ème Clavier:
Grand Orgue (ut1-ré5 sans 1er ut#)

Montre 8’
Bourdon 8’
Prestant 4’
Doublette 2’
Plein jeu VI
Quinte 2’ 2/3
Quarte 2’
Tierce 1’ 3/5
Cornet V (au 3ème ut)
Trompette 8’
Clairon 4’
Voix humaine 8’

3ème Clavier:
Récit (ut3-ré5)

Bourdon 8’
Cornet IV
Hautbois 8’


Pédalier à la française (fa0-la2 sans 1er fa#)

Flûte 8’ (au 1er ut)
Flûte 4’ (au 1er ut)
Trompette 8’
Clairon 4’

Accouplement POS/GO à tiroir
Tremblant fort, tremblant doux

Voix Humaine GO 2

L’ORGUE ET L’ÉGLISE DE SOUVIGNY AU DÉBUT DU XIXème SIÈCLE
par Achille Allier

Pour se faire une idée de l'effet prestigieux de cet édifice, il faut l'avoir visité au milieu de la nuit, presque seul et dans les ténèbres. Excepté le vent qui ébranle les vitraux, tout est silencieux: à la faveur de l'ombre, les voûtes s'élèvent, les nefs se prolongent à l'infini; l'église semble n'avoir plus de limites; on se sent comme perdu au milieu de l'espace. Accoudé près d'une balustrade, si vous laissez votre âme s'envoler sur les ailes de la méditation et des songes, ravi par les chants de l'orgue qui tonne tout à coup, oh! alors vous semblerez être sous l'empire d'un merveilleux enchantement. Pendant que la musique trouve sous les voûtes cent échos, qu'elle rappelle les plaintes éternelles de la multitude des hommes ou les prières sans fin des anges, tout s'anime, tout prend des formes autour de vous; des milliers de fantômes, évoqués par votre imagination, se balancent entre les colonnades. C'est comme dans un spectacle féerique; les figures des chapiteaux s'agitent et grandissent, les statues des ducs semblent se dresser sur leurs tombeaux comme pour le jugement dernier, et on craint qu'elles ne parlent, comme la bouche de marbre du Commandeur. On croit voir de longues lignes de moines, assis dans leurs stalles, assemblés pour l'office de la nuit, et prêts à mêler leurs voix graves et solennelles aux cent voix de l'orgue. Pour peu que votre imagination s'échauffe et s'exalte, bientôt vous verrez les dalles tumulaires des nefs se soulever lentement, et princes, seigneurs, bourgeois et religieux secouer leur linceul poudreux, pour prendre part à la fête religieuse à laquelle votre rêve les convie; et pendant que vous évoquez tous ces personnages frappés du sceau de la mort, l'orgue continue à faire éclater son tonnerre et à chanter ses airs les plus harmonieux et les plus mélancoliques: musique aux célestes accords, aux divins accents, qui tour à tour soupire et prie, pleure et gronde, qui lutterait avec la fauvette de nos auberies, ou ferait taire les mugissements de la mer en courroux. Tant que la musique dure, l'extase vous emporte dans ses fantastiques régions, sur ses ailes rapides; mais dès que les derniers chants retentissent et meurent au milieu de l'espace, l'âme retombe de son troisième ciel dans la réalité; et adieu les indicibles ravissements et les mystérieuses visions! Tout fuit, tout disparaît; Lazard redescend dans son froid sépulcre, les générations s'effacent comme une ombre… l'église redevient vide et silencieuse! On s'aperçoit alors que la nuit est fraîche et que l'heure s'avance. La lune se dégageant des nuages jette de pâles reflets dans l'église; les vitraux ainsi illuminés nous laissent voir les figures graves et religieuses des saints, sous des auréoles d'or, et les piliers et les arcades projettent leurs ombres contre les dalles et contre les murs. Vous avez fini un de ces rêves qui ne laissent dans l'esprit que de vagues souvenirs mais qui remuent l'âme par de profondes et impérissables émotions.
C'est quand on repasse en soi-même les mille épisodes de la longue existence du monastère de Souvigny que cette église apparaît surtout grande et vénérable. L'histoire des princes de Bourbon et celle de la ville se confondent avec l'histoire des moines. Leurs destinées à tous sont tellement liées les unes aux autres qu'il est impossible de les séparer [...]

Achille ALLIER,
L'Ancien Bourbonnais, tome III, pages 168-169.